Tromsø est une ville à part : 2 mois de nuit complète en décembre et janvier, 2 mois de jour total en juin et juillet. De quoi vous rendre barjot. Pourtant, 70.000 personnes vivent là-haut, au bout du monde, dans la ville de plus de 50.000 habitants la plus au Nord du Globe. Celle-là même que j’ai déjà visitée (et photographiée) en hiver en 2010, lors de mon semestre Erasmus en Norvège.
La
Tromsø SkyRace est une course à part, unique. Déjà parce que ses deux principaux organisateurs se nomment
Kilian Jornet et
Emelie Forsberg, rien que ça. Et, parce que si ces deux là sont organisateurs, ils ont forcément concocté un parcours à leur goût.
45km, 4400m de dénivelé positif, 70% de hors sentier, des descentes droit dans la pente, une arête ultra-technique de 5km… Des chiffres à faire peur et du vrai
skyrunning comme il n’en existe pas dans l’hexagone !
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Emelie dans son costume de bénévole |
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Kilian vérifie la météo à quelques heures du départ : le bulletin est…mauvais |
200 heureux élus seulement ont le droit de participer à la
course de 45km, comptant pour le circuit Skyrunning dans la catégorie Ultra. Autant dire que la crème de la crème s’est donné rendez-vous au-delà du cercle polaire pour en découdre sur ce parcours si spécial.
Une course unique, organisée par de grands champions
Pour autant, l’ambiance est décontractée, presque légère, et on a presque l’impression de participer à un camp d’entraînement proposé par Kilian :). La météo se met elle aussi à la hauteur du parcours : c’est un brouillard épais qui est annoncé toute la journée, et de bonnes pluies qui sont attendues…
Dès le briefing, Kilian prévient : il faut être
autonome, les lieux ne sont pas faciles d’accès pour les coureurs et chacun doit se responsabiliser et adapter son matériel en conséquence (seul un coupe-vent est obligatoire!). Il annonce également le petit bonus de dernière minute : le téléphérique ne sera pas en service pour rejoindre le départ (
Floya) depuis le centre ville : il faudra faire les 400D+… comme échauffement !
Dans un esprit de famille
J’aime cet esprit de famille, ce peloton restreint, et je mesure la chance que j’ai de participer à la fête. Evidemment, il ne s’agit pas de faire tout ce voyage juste pour une course et nous en profiterons pour explorer les alentours de Tromsø et les îles Lofoten pendant deux grosses semaines avec Laura.
07h : le réveil sonne. J’y vais mais j’ai peur. Dehors, il fait exactement le même temps et la même luminosité que la veille à 23h : pluie et brouillard. Le temps de se préparer et de parcourir les 3km du centre ville jusqu’au pied du téléphérique (fermé donc), il est déjà 08h30. Il faudra 30 minutes à un rythme cool pour grimper le mur qui mène au départ….Cela donne le ton !
A Floya, on se réchauffe comme on peut dans le café qui prend des allures de base de vie pré-course. Puis vient le moment où il faut aller se mettre sous la pluie et enfiler le costume de guerrier. C’est parti pour
45km d’un concept intéressant : courir quasi sans chemin. Heureusement, j’en ai une bonne expérience de mes 6 mois passés en Norvège… Ici on laisse la nature comme elle est !
C’est assez roulant et vallonné pendant les 6 premiers kilomètres : je garde Emilie Forsberg pas trop loin dans le viseur, la tête de course étant elle déjà bien loin.. Il est difficile d’estimer son classement car la petite et la grande distance sont mélangées pendant les 12 premiers kilomètres.
45km, sans chemins, droit dans les pentes
Au 6ème kilomètre, un ravitaillement sur le pouce est proposé avant d’entamer la première ascension du
Tromsdalstinden (il y en aura une deuxième, le parcours étant en A/R). Il s’agit d’un hors d’oeuvre : la montée est plutôt facile, même si la progression se fait dans de gros blocs de pierre. Je maintiens ma position, et constate avec plaisir que bon nombre de concurrents mettent le clignotant sur le petit parcours au sommet. Pour le 45km, c’est ici que les choses sérieuses démarrent.
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Le sommet de Tromsdalstinden quelques jours après la course : on distingue Hamperokken au loin |
Nous sommes sur une impressionnante calotte de glace et de neige (à 1200m, début août..!) et il faut plonger droit dans la pente avec une corde à saisir à mains nues comme seul allié. Deux petites secondes d’hésitation et je me lance en alternant station debout et assise. On dégringole ensuite 500m de dénivelé entre névés vertigineux et pentes herbeuses et rocheuses dans des pourcentages à faire pâlir un paquet de kilomètres verticaux. Peut-on encore parler de course à pied ? Je n’en suis pas sur mais le plaisir est là, et la concentration au maximum.
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Le début de la descente du Tromsdalstinden… Photo : Organisation |
La pente se radoucit fortement et on peut laisser filer quelques foulées plus librement. C’est le moment où tu te souviens du briefing et où tu comprends qu’il va falloir traverser 5 rivières à 6 ou 7°C avec de l’eau parfois jusqu’à mi-cuisses :). Passé cet intermède fraîcheur, la descente infernale reprend, droit dans la pente, dans une tranchée à travers une forêt. Certains me doublent en position luge, d’autres s’accrochent aux branches. Je ne suis pas le plus efficace mais mon rythme est correct et je tiens debout… Puis la pente s’arrête d’un coup et laisse place à un long plat pour traverser la vallée et aller attaquer le point chaud de l’épreuve :
Hamperokken.
Un plat ? Oui, un petit chemin pour se dégourdir les jambes ! Non plutôt de la mousse, des racines, re des rivières à traverser…! Le ravitaillement (km 18) qui arrive est le bienvenu, et j’y suis même assisté par Lucy Bartholomew qui, blessée, ne peut pas courir. Vallée traversée, il ne reste plus qu’à remonter le mur de l’autre côté!
Ici, la limite des forêts est à 300-400m donc on se retrouve vite de nouveau dans le brouillard. Les pourcentages sont tellement raides que les concurrents devant et derrière qui semblent tous proches sont souvent à plusieurs minutes. Puis, vers 1100m, on entame l’arête rocheuse tant redoutée. En soi, elle n’est ni très impressionnante (merci quand même au brouillard qui bouche le vide :)), ni très technique, mais avec 20km et déjà
presque 3.000D+ dans les jambes et des rochers rendus bien glissants par le pluie, c’est une autre affaire. Pas le droit à l’erreur ici, alors on adapte le rythme et on assure les pas. Je remonte pas mal de coureurs et arrive avec le sourire au sommet d’
Hamperokken, après 3km sur le fil du rasoir ! Quelles sensations !…et ce n’est pas fini.
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La crête d’Hamperokken par beau temps. Photo : Kilian Jornet. |
La descente se fait par une boucle pour ne pas gêner ceux qui montent. Droit dans un couloir rocheux, puis sur un long névé sur lequel je chute et glisse la tête la première. Je me rattrape in extremis pour ne pas finir dans les cailloux à pleine vitesse… Ouf! La suite est plus calme mais gu-re plus reponsante. Il s’agit de contourner toute la montagne que l’on vient de grimper pour rejoindre le début de l’ascension et repartir à ‘contresens’ du parcours.
C’est alors que je croise un coureur suédois qui a la meilleure phrase que j’aurais pu imaginer pour décrire l’épreuve : « Man, this race is mentally tough ! My brain is more tired than my legs ». Sous-entendu : je suis fatigué de regarder où je mets les pieds. Et c’est vrai qu’il n’y a aucun moment de relâchement possible. L’entorse ne serait qu’un avertissement quasi sans frais.
« This race is mentally tough »
Au moment de rejoindre le parcours là où je l’ai laissé 2 heures plus tôt, les sensations sont super bonnes. De mieux en mieux, à vrai dire. Je file au ravitaillement du
km30 (le même qu’au km18 si vous avez suivi!), accueilli par des dizaines de drapeaux norvégiens, traverse le long plat dans l’autre sens pour rejoindre bas de la vallée et me présente au pied de la pente vertigineuse que je vous ai décrite un peu plus tôt, pour rejoindre le sommet de
Tromsdalstinden pour la deuxième fois.
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Traversée de rivière. Image : Crux Films |
Pas d’hésitation, je sors les bâtons. De nouveau (mais en montée cette fois !) la tranchée dans la forêt, les traversées de rivières à 2°C (je suis sur qu’elles ont refroidi en quelques heures), la dernière montée interminable à brouter les mottes de terre pour réussir à se hisser, puis le névé final, toujours aussi raide. Heureusement, des escaliers ont été creusés entre-temps :).
Je vous la fais courte, mais cette lente agonie m’a pris quasi 2 heures ! Ouf, le plus dur est fait, il reste 10km et « seulement » 200D+. D’abord une nouvelle descente incourable dans un pierrier puis quelques kilomètres plus vallonnés (toujours hors sentier, faut pas rêver hein !).
Et, miracle, je rejoins de la vie ! Plus que 5km m’annonce-t-on avec en plus la possibilité de passer sous les 9h et d’assurer ma place dans les 40 si je me bouge le train. Je cours sur un chemin (??!) et vérifie donc plusieurs fois le balisage pour m’assurer que je ne suis pas perdu :).
La pluie semble redoubler à mesure que l’arrivée se rapproche et j’entends d’abord le bruit avant de la voir tellement le brouillard est présent… Enfin, je passe sous l’arche.. 8h50 et 39/110 arrivants ! Quelle course ! C’est d’ailleurs ce que je dis à Emelie qui me remet ma médaille de finisher en la félicitant d’avoir le cran d’organiser un truc pareil. Je n’ai jamais fait de raid aventure mais cela doit ressembler à ça !
Les jambes ne sont pas si meurtries finalement, tant le rythme était lent, mais mentalement je suis épuisé. Est-ce pareil pour les premiers, qui ont mis presque
3 heures de moins ? (Mention spéciale à Emelie qui a couru en 7h20 en ayant en parallèle organisé l’épreuve…?!?)
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Finisher. Photo : Kilian Jornet. |
En tout cas, peu importe le classement, l’essentiel était de finir…et entier ! Une sacrée expérience, extrême, à l’extrême Nord de l’Europe.
Merci à Kilian et Emelie (et leur équipe tout aussi talentueuse) pour avoir imaginé et mis en oeuvre un tel monument, à leur image : simple, authentique et engagé.
Il y a toujours plus long, plus de dénivelé, etc. Mais, sincèrement, je ne crois pas qu’il y ait beaucoup plus difficile dans le monde sur cette distance. Dommage pour la météo, mais nous sommes retournés nous balader au Tromsdalstinden quelques jours après avec le quasi-soleil de minuit… Avis aux amateurs 😉
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Tromsdalstinden quelques jours après la course. Il est … 23h ! |
Et voici, pour vous donner envie, quelques belles images de la course :
Et si vous n’avez toujours pas compris le cheminement de la course, voici la carte.
Je ne pensais pas un jour boucler une course de 45km à 5km/h de moyenne, c’est maintenant chose faite! Le plus dur était fait : déballage du matériel de voyage et place aux vacances dont je vous partagerai quelques images des magnifiques paysages visités dans les semaines à venir 🙂
Photos : Peignée Verticale sauf mention.
Stay tuned!
Timoth
4 Responses
Très joli reportage. Bravo pour cette course de folie.
Merci David !
Magnifique en effet
ça donne presque envie d'habiter la bas…
Un seul mot wouaou !